«

»

mai
01
2011

Paris, ville maîtresse du tango

Paris entretient depuis près d’un siècle une véritable histoire d’amour avec le tango argentin. D’ailleurs, les argentins reconnaissent eux-mêmes qu’il y a une sorte de ménage à trois autour du tango, dans lequel Buenos Aires serait « l’épouse » et Paris « la maîtresse ». En effet, la capitale française a joué un rôle primordial dans l’histoire du tango, sans laquelle le tango n’existerait peut-être plus aujourd’hui.

On peut retenir 3 dates clés dans cette relation privilégiée de Paris : 1906, 1954 et 1983.

1906

Le tango est né dans les bas-fonds de Buenos Aires vers 1880. La danse est considérée comme provocante et sulfureuse et est pratiquée dans les bordels, les rues et les cafés des ports, endroits où s’entassent les familles pauvres, essentiellement immigrées. C’est Paris qui va permettre au tango argentin de s’étendre au-delà des quartiers mal famés.

Les premières partitions de tango, arrivées en Europe par le port de Marseille, ont pris rapidement le chemin de Paris. Parmi ces mélodies arrivées du Rio de la Plata, deux titres connaîtront un immense succès au long des années : « El Choclo » (« L’épi de maïs ») et « La Morocha » (« La brunette »). Alors que la Grande Bretagne servira de référence pour son expansion économique, Buenos Aires a choisi la France pour modèle culturel. Les premiers musiciens et danseurs de tango débarquent à Paris en 1907, et cela va devenir une véritable «  tangomanie » pendant les années folles. En raison de l’exotisme et de la sensualité que cette danse évoque, les femmes élégantes de la haute bourgeoisie ne songent qu’à aller prendre des leçons de tango. Dès 1911 d’ailleurs, le journal Le Figaro affirme : “Ce que nous danserons cet hiver sera le tango argentin, une danse gracieuse, ondulante et variée”. Le mot « tango » est partout : conférence-tango, thé-tango, champagne-tango, matinée-tango, chocolat-tango. On trouve aussi le train « tango », qui rallie Paris-Deauville, la couleur tango, un vif orangé, devient la couleur à la mode, on créé la culotte-tango, qui fendue sur les côtés pour faciliter les pas de la danseuse. Enfin, tout Paris a succombé à la mode TANGO !

Vers 1913, la folie du tango envahit d’autres pays. Puis éclate la Première Guerre Mondiale, et le tango rentre à Buenos Aires, mais par la grande porte cette fois. Ayant fait ses preuves dans la noblesse française, le tango se fait enfin accepter par la haute société argentine.

1954

En 1954, Astor Piazzolla, alors âgé de 33 ans, arrive à Paris. Ce n’est pas un débutant : il a travaillé 5 ans comme bandonéoniste dans l’orchestre très côté d’Anibal Troilo, puis a monté son propre orchestre avec lequel il a joué des tangos de sa composition qui ont vite déconcerté une partie du public, hostile à la modernité qui découle déjà de ce bandonéoniste d’avant-garde.

Mais Piazzolla a d’autres rêves depuis qu’il a commencé à découvrir Bartok et Stravinsky : la composition et l’orchestration. Il a décidé de renoncer au bandonéon, pensant que le tango nuirait à ses rêves…

A Paris, il part suivre les cours de Nadia Boulanger, considérée alors comme une pédagogue sans égale dans le monde de la musique classique. Après des mois d’entraînements exigeants, la femme admet que les morceaux qu’écrit Piazzolla sont parfaits sur un plan musical mais qu’il leur manque du sentiment. Elle le questionne sur son passé à Buenos Aires, qu’il avait tenu secret jusqu’à présent. Piazzolla avoue qu’il y jouait du tango, au bandonéon, mais qu’il n’aimait pas cela. Le professeur lui demande alors de jouer un tango qu’il a composé au piano. Le professeur est ému pour la première fois par la musique de Piazzolla. Elle lui conseille de ne jamais abandonner. Piazzolla avait enfin gagné ce qui lui manquait pour continuer le tango : la confiance en soi. Ce jour-là, il cessa d’avoir honte de ce qu’il était et décida de donner de la valeur à cette musique « populaire » qu’il avait décidé de renier. La révolution piazzollienne se met alors en marche : mélodies, rythmes, le tango ne sera plus jamais comme avant.

Quatre ans plus tard, à la mort de son père, Piazzolla composa une œuvre sublime, « Adios Nonino », une des pièces les plus jouées au monde.

1983

En Argentine, depuis la chute en 1955 du général Peron qui en était un fidèle soutien, le tango a vécu une longue période de déclin. Concurrencé par les musiques anglo-saxonnes, il est boudé par les jeunes générations. Les grands orchestres ont progressivement disparu et fait place à de petites formations qui proposent des concerts d’une musique écrite et jouée par des figures représentant des courants réellement novateurs, parmi lesquelles, comme nous en parlions plus haut, Astor Piazzolla.

Pendant ce temps, à Paris, un lieu mythique de la culture argentine voit le jour en 1981 : les Trottoirs de Buenos Aires. Créé dans un ancien entrepôt de fruits et légumes du quartier des Halles, non loin de la rue des Lombards, l’endroit est rapidement devenu un haut lieu de la vie culturelle parisienne. L’idée était de consacrer toute une soirée à un orchestre, le premier ayant fait l’inauguration étant el Sexteto Mayor en novembre 1981. Mais le vrai coup de tonnerre sera donné en 1983 par deux metteurs en scène argentins qui vont réaliser un spectacle intitulé « Tango Argentino », et qui sera donné au Théâtre du Châtelet. Pour cela, ils ont engagé la crème des artistes argentins. Les amoureux de la musique tango avaient déjà une idée de l’évolution du genre, par les disques et aussi par les concerts donnés depuis 1981 aux Trottoirs de Buenos Aires. Mais le public a surtout découvert alors le tango dansé sur les rives du Rio de la Plata, assez différent des autres styles dits tango de salon ou musette, pratiqués depuis longtemps en France. Une vraie surprise et un bonheur qui ne resteront pas sans lendemain. Le succès est au rendez-vous et le spectacle s’exporte en Europe puis à Broadway.

Une vraie crise d’identité culturelle éclate alors en Argentine, observant ainsi que le tango, patrimoine argentin délaissé depuis des années dans le pays, est aimé à travers le monde. Pour se réapproprier LEUR tango, les argentins créent en 1999 le 1er festival annuel de tango. En 2001, pour aider à lancer le festival, ses responsables organisent des cours de tango dès janvier dans plusieurs quartiers de la capitale. Et depuis, tous les ans, un championnat international réunit à Buenos Aires les meilleurs danseurs de tango du monde.

En France, l’événement créé par « Tango Argentino » lança définitivement la danse tango argentin dans tout le pays. Des danseurs argentins et uruguayens ouvrirent des cours dans de nombreuses villes de France, des revues ont commencé à paraître, des milongas et des salles de bal de tango ont vu le jour. A Gennevilliers (en banlieue parisienne) a été créée en 1988 la plus importante école de bandonéon du monde. Depuis les années 90, parisiens et provinciaux sont de plus en plus nombreux à avoir été séduits par le tango argentin. Bien que Les Trottoirs de Buenos Aires durent fermer en 1991 pour des raisons financières, les tangueros ont pu trouver refuge dans d’autres lieux mythiques de la capitale française, comme La Coupole ou Le Latina. La danse a malheureusement aussi abandonné ces lieux aujourd’hui, mais il existe une multitude d’endroits différents pour danser le tango à Paris. Il ne reste plus qu’à choisir !!

2 commentaires

  1. Lescarret Dominique a dit :

    Texte sympa mais qui demanderait quelques petits rectificatifs 1. Plus que les bordels, la naissance et la pratique du tango à son origine, aurait eut lieu, d’après les historiens modernes, dans les « academias ». 2. Les premières partitions ne sont jamais arrivées « par le port de Marseille », c’est une pure légende reprise en copier-coller par nombre d’historiens qui tous mentionnent la Fragata Sarmiento, qui n’a touché Marseille pour la première fois qu’en… 1924… 3. La « tangomania », ce n’est pas pendant les Années Folles (après guerre), mais pendant la Belle Epoque (avant guerre). 4. Le Baron de Marchi avait commencé à faire entrer le tango dans la bonne société argentine, en même temps, sinon avant, son triomphe à Paris. Cordialement D.L. P.S. Tout document historique justificatif à votre disposition concernant les points évoqués… ou d’autres :-)

    1. Muneca Linda a dit :

      Un grand merci pour ces rectifications et précisions ;)

Laisser un commentaire

Votre adresse ne sera pas publiée.

Vous pouvez utiliser les balises HTML suivantes : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>