La 11ème édition du Tango Festival y Mundial de Baile de Buenos Aires, grand événement qui s’est tenu mi-août à Buenos Aires, a mis en avant les couples de même sexe. Ainsi, 3 couples d’hommes et un couple de femmes ont concouru cette année pour les prix des meilleurs danseurs de Tango de Salon et de Tango de Scène. Il faut quand même préciser que ces couples n’avaient pas forcément de lien amoureux.
Ainsi cet été, le couple de filles était formé par deux copines, Marlene Heyman et Lucia Christe. Leur binôme s’est créé tout naturellement suite à plusieurs soirées où elles faisaient banquette car aucun homme ne les invitait. Au lieu de se morfondre sur leur siège, elles ont plutôt choisi de danser ensemble et de s’amuser. Elles ont ainsi découvert que le fait de danser entre filles leur mettait moins la pression que dans les bras d’un homme, qui était pour le coup plus exigeant et où il pouvait aussi exister une certaine ambiguïté. Biensûr lorsqu’elles sortent danser dans des milongas, elles cherchent d’abord à se faire inviter par des danseurs mais s’il n’y a pas foule au portillon, elles ont toujours l’opportunité de passer une bonne soirée en dansant entre filles. Elles trouvent également intéressant d’alterner les rôles du conducteur et du suiveur dans la danse. C’est effectivement en apprenant les deux rôles que l’on est plus libre et que l’on arrive mieux à comprendre son partenaire, à lui faire confiance et à s’ouvrir à lui.
Parmi les couples d’hommes ayant participé au festival, il y avait Claudio Siufe et Esteban Mioni, qui se sont inscrits surtout avec un message politique fort. Pour pousser le geste, l’un des deux a même porté des talons. C’est de la provocation, certes, mais ils jugent que le tango et le monde en général sont machistes. Bien que l’Argentine ait accepté le mariage gay en 2010, ils savent que la discrimination anti-gays agit toujours dans le pays. Et ne parlons pas du le milieu traditionnaliste du tango argentin, même si cela évolue depuis quelques années. En Argentine, 6 festivals de tango sont désormais ouverts aux couples du même sexe et 2 milongas queer ont pris place à Buenos Aires.
Voici quelques extraits de cette 11ème édition du festival, avec Marlene et Lucia, et un autre couple d’hommes :
A Paris, une milonga queer a été créée dans le 18ème, au Théâtre de Verre, il y a bientôt 4 ans. Elle se tient un dimanche par mois. C’est une soirée sans les normes de genre, qui sort du cadre habituel de l’homme qui guide et la femme qui suit. La popularité de cette milonga est allée crescendo d’année en année, d’abord au bouche-à-oreille puis grâce au phénomène Facebook. Des milongas queer se sont multipliées à travers le monde, Madrid, Oslo, Boston, les grandes villes ont toutes à présent des soirées ouvertes aux danseurs de même sexe.
Dans ce qu’on appelle le Tango Queer, bien que queer soit le terme emprunté pour désigner un gay branché, on ne veut pas forcément parler de couples homosexuels mais plutôt de couples dans lesquels le rôle de chacun n’est pas figé. Le duo des frères Macana est un bon exemple ! On parle de la personne qui guide et la personne qui suit, plutôt que de l’homme et de la femme. Pas évident sachant le tango est une danse en apparence virile et machiste, comme le seraient la plupart des danses de couple. L’écriture du tango et son genre musical sont très machistes également. Et pourtant, les deux rôles dans cette danse tiennent une place importante. Finie l’image de l’homme conducteur dominant, lui qui dirige et qui de plus choisit et invite sa danseuse. Finie également l’image de la femme suiveuse et soumise, séductrice et qui peut simplement s’exprimer à travers son attitude féminine et quelques fioritures. C’est malheureusement là l’idée que l’on se fait trop souvent du tango, des clichés qui ressortent notamment dans des spectacles de tango ou dans des émissions télévisées telles que Danse avec des Stars.
L’acceptation du tango queer est un vrai phénomène dans les rôles de chacun. En effet, on réussit enfin à voir autrement cette danse dite sulfureuse, qui peut désormais se danser entre femmes ou entre hommes. Oui, les hommes dansaient déjà le tango entre eux à ses débuts, dans les années 1930, mais il faut se souvenir du contexte. Beaucoup d’immigrés avaient laissé femme et enfants en Europe et pour se divertir, ils s’étaient mis à danser le tango, qui venait de faire son apparition. Quant à ce qui se passait dans les bordels, quelques brigands et autres mafieux dansaient avec des prostitués ou entre hommes, mais tout se faisait dans la virilité et la prétention.
De nos jours, on s’intéresse d’abord à l’harmonie et au ressenti qui se créé dans le couple qui danse le tango. Que ce soient un homme et une femme, ou deux personnes du même sexe, l’envie de partager un moment apaisant voire magique se retrouve. Et pour arriver à cela, les deux partenaires doivent être conscients de leur corps et s’affirmer dans leur rôle de guideur ou suiveur. Cela se fait à travers les énergies de chacun et à travers leurs transferts de poids du corps. Les deux partenaires doivent rester dynamiques et alertes aux messages de l’autre. On n’accepte plus que le guideur face avancer l’autre en utilisant sa force, pourrait-on dire « bêtement ». De la même façon, la personne qui suit doit apprendre à lâcher-prise et à se laisser guider, mais intelligemment, c’est-à-dire en aidant l’autre et en accompagnant ses gestes et ses pas. Ces deux rôles ne peuvent s’épanouir pleinement que si les deux personnes s’écoutent et ont conscience de leur centre de gravité, pour ne pas mettre l’autre en difficulté. L’ancrage au sol, l’énergie partagée, voilà les ingrédients d’un tango ressenti et réussi. Qu’importe qui sont les deux partenaires, ce qui compte est ce qu’ils arrivent à construire ensemble, et c’est ce résultat qui est beau à vivre et à regarder.
Voici un couple de tangueros finalistes à l’édition 2010 du Championnat de Danse Gay d’Espagne. Vous remarquerez que tous les deux changent de rôle pendant leur danse, et que tous les deux se prêtent aux formidables jeux des portés.
1 commentaire
Muneca Linda a dit :
13 septembre 2014 à 14 h 00 min (UTC 1)
La différence n’est malheureusement pas acceptée par tous. Ekaterina Khomenko, professeur de tango queer de St Saint-Pétersbourg, a été assassinée dans sa voiture, avec la gorge tranchée, il y a quelques jours
…
Pour en savoir plus : http://queerussia.info/2014/09/10/6272/#sthash.vjhlbYdq.4tr7Rxwu.dpbs